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Prendre soin de la Vie en nous et autour de nous

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Prendre soin de la Vie en nous et autour de nous

La Présence à l'autre

Être pleinement présent à autrui consiste à entrer en contact avec lui au-delà des apparences de nos personnalités respectives – au niveau essentiel de l’être, dans le silence et la paix du Soi. Cela requière une série de conditions qui ne sont pas compatibles avec les comportements névrotiques de l’ego. Celles-ci sont donc difficiles à respecter, en particulier dans nos sociétés où les stratégies agitées et sophistiquées du moi sont bien plus valorisées que les attitudes simples et apaisées dictées par le Soi. Voilà pourquoi il est important d’apprendre à

SE POSER

Ralentir, s’arrêter, se poser. Prendre le temps : avoir conscience de son écoulement incessant et, plutôt que se laisser emporter dans son courant, décider de s’arrêter pour faire du moment présent un temps d’éternité – un temps dilaté, à la fois vide (parce que simplement traversé par des perceptions éphémères) et rempli (parce que source de tous les possibles qui naissent de l’interdépendance entre les différentes perceptions). Définir des priorités : continuer à faire pour avoir toujours plus et toujours mieux (ce qui génère un sentiment de remplissage depuis l’extérieur de soi), ou bien simplement être (se sentir rempli depuis l’intérieur) ? Ne plus avoir besoin d’agir ou de posséder pour se rassurer. Combler le « vide d’être » en goûtant au silence et à la paix de l’Essence.

Certaines personnes ont beaucoup de mal à se poser. Dès qu’elles essaient de ralentir le rythme de leur vie, elles éprouvent de l’angoisse – l’angoisse du vide. Au niveau de leur cerveau, une petite structure limbique appelée amygdale fonctionne à l’envers. Normalement, l’amygdale détecte les situations potentiellement dangereuses pour la survie de l’individu ; elle génère alors de la peur et de l’anxiété. Lorsque son fonctionnement s’inverse, les situations de stress et d’agitation ne sont plus détectées comme potentiellement néfastes ; elles ne génèrent donc plus d’émotions désagréables. Et, d’une façon tout à fait paradoxale, ce sont les situations de calme et de détente qui provoquent de la peur et de l’anxiété. Certaines personnes à l’amygdale inversée ne parviennent pas à rester inactives ; même lorsque elles sont en vacances, elles doivent être occupées tout le temps, sinon elles sont angoissées et elles n’ont pas le sentiment de se détendre. Elles croient se ressourcer dans l’action ; en fait, elles ne font que s’épuiser davantage.

Se poser nécessite parfois une véritable rééducation de l’amygdale cérébrale. Pour y parvenir, il faut pratiquer régulièrement des exercices d’apaisement – par exemple de la méditation, de la sophrologie, du qigong ou du yoga. Dès que l’amygdale refonctionne normalement, les situations de stress et d’agitation ne sont plus tolérées ; l’individu redevient sensible à la tension qu’il s’impose ; il perçoit à nouveau les émotions désagréables et les sensations inconfortables du corps comme des signaux d’alarme qui lui demandent de changer de comportement. Davantage présent à lui-même, il n’a plus autant besoin d’agir, de posséder et de consommer pour se sentir rempli et apaisé. Il devient capable d’expérimenter sa propre plénitude et, ayant ressenti la joie de cet état, il est prêt à faire des choix, à définir des priorités, à renoncer à ses fantasmes de toute-puissance, à faire moins, à posséder moins et à consommer moins. Il réapprend à écouter ses besoins fondamentaux, au premier rang desquelles figurent le silence et la paix intérieure.

CREER UN ETAT DE VIGILANCE PAISIBLE

Être calme et alerte à la fois. C’est la condition indispensable pour pouvoir faire une expérience de présence. Suffisamment vif pour rester à l’écoute de ce qui se passe en soi et en l’autre ; suffisamment détendu pour percevoir le silence et la paix qui se cachent derrière le tumulte émotionnel et le bavardage mental, chez soi et chez l’autre.

Plusieurs études ont montré que cet état de vigilance paisible est lié à l’activation du cortex préfrontal de notre cerveau – une zone d’intégration des fonctions cognitive qui gère, entre autres, l’équilibre entre nos émotions désagréables et nos émotions agréables. Il en résulte une bonne balance entre l’activité des branches sympathique et parasympathique de notre système nerveux autonome. La branche sympathique est celle qui nous met en tension pour répondre à ce qui déclenche des émotions désagréables comme la peur, l’anxiété ou la colère ; elle est responsable de ce que l’on appelle la « réponse de stress » – un état dans lequel nous sommes sur le qui-vive, alerte et vigilant. La branche parasympathique enclenche, au contraire, une « réaction de relaxation », en lien avec des émotions plus agréables comme la paix ou la joie. Toutefois, même lorsque nous sommes dans un état de détente accompagné d’émotions agréables, notre système nerveux sympathique peut continuer à nous mettre en légère tension, non pas pour enclencher une réponse de stress mais, tout simplement, pour nous aider à rester concentré et capable d’agir dans le sens de ce qui génère nos émotions agréables.

Dans le cas de l’expérience de la présence, le fait de préciser notre intention d’être présent à nous-même active notre système sympathique ; cela nous met en tension et stimule notre vigilance. Respirer en conscience rééquilibre l’activation sympathique par une stimulation parasympathique ; cela provoque la détente nécessaire pour percevoir le silence et la paix de notre présence. Néanmoins, la détente parasympathique ne va jamais jusqu’au relâchement complet ou jusqu’à l’endormissement puisque notre intention de rester conscient de notre respiration maintient une légère activation sympathique qui permet de soutenir notre vigilance. Ainsi, on peut dire que, d’un point de vue neurologique, la condition indispensable pour devenir présent consiste en une profonde relaxation parasympathique de base, associée à une légère activation sympathique qui stimule l’attention.

ECOUTER (ET DEVELOPPER L'INTUITION)

Dès que nous sommes dans un état de vigilance apaisée, un espace s’ouvre en nous. Nous pouvons alors commencer à écouter l’autre. Écouter n’est pas simplement entendre. Nous n’écoutons pas uniquement avec nos oreilles mais avec tout notre corps. Cela demande une intention et une attention particulière, la curiosité de s’ouvrir entièrement à ce qui est, dans l’instant. Il s’agit de nous laisser « impressionner » physiquement par tous les signaux émanant de l’objet de notre attention, de prendre conscience des nuances et des détails qui le composent, et de rester silencieux, sans rien analyser ni interpréter. Car écouter n’est pas penser. Nous percevons alors un grand nombre d’informations et nous développons une compréhension beaucoup plus subtile de la réalité.

Une grande part des informations provenant de l’autre ne sont pas verbales. Il s’agit de petits signes à peine perceptibles – de subtiles modifications de l’expression du visage, une lueur dans le regard, des microchangements dans la posture, une coloration différente de la peau, quelques perles de sueur, une variation du timbre de la voix. Notre cerveau perçoit et analyse toutes ces informations et, avant même de les avoir traduites en représentations conscientes, il génère une réaction émotionnelle dont les manifestations corporelles nous font sentir une impression. Cette impression constitue notre intuition. Plus nous sommes attentif à nos sensations corporelles, plus nous pouvons compter sur notre intuition. L’important est de ne pas chercher à analyser nos sensations corporelles et de ne pas vouloir interpréter nos impressions. Une intuition n’est pas une réflexion. Elle permet de réagir instantanément, d’une manière adaptée à la situation, sans que nos idées préconçues et nos jugements ne viennent perturber la fluidité de la danse qui s’instaure entre l’autre et nous-même.

Il semble qu’un entraînement à la vigilance apaisée favorise le processus à l’origine du développement de l’intuition. En effet, une étude réalisée auprès de moines bouddhistes habitués à méditer a montré que l’activité électrique de leur cerveau produit des ondes de type gamma en plus grand nombre et avec une plus forte intensité. Habituellement ces ondes gamma apparaissent en cas d’activité soutenue du cerveau et elles provoquent une synchronisation du fonctionnement de différentes aires cérébrales permettant l’intégration d’un plus grand nombre d’informations. Il s’en suit une impression d’ouverture, d’expansion et d’acuité de la conscience. Notons, au passage, qu’il a été montré que les personnes ayant beaucoup d’ondes cérébrales de type gamma ont une intelligence supérieure à la moyenne, sont davantage capables d’effectuer des performances de pointe, connaissent un niveau plus élevé de bonheur intérieur et ont tendance à exprimer plus de compassion.

UTILISER SON PROPRE CORPS COMME UNE ANTENNE DE PERCEPTION (ET DEVELOPPER LA CAPACITE D'EMPATHIE)

Le corps est l’élément central de la présence à l’autre. De nombreux canaux sensoriels en font une véritable antenne capable de percevoir à la fois la réalité intérieure et la réalité extérieure. Il faut donc distinguer l’intéroception et l’extéroception. L’extéroception s’effectue grâce à aux organes sensoriels qui permettent la captation de stimuli extérieurs via le toucher, l’olfaction, la vision, l’audition et la gustation. Certains animaux disposent, en plus, de la capacité de percevoir les champs électriques et les champs magnétiques. L’intéroception, quant à elle, nous renseigne sur nos états intérieurs via les capteurs sensoriels situés dans les muscles, les tendons, les articulations, les vaisseaux sanguins et les différents organes de notre corps.

Les informations en provenance d’autrui provoquent, par l’intermédiaire des neurones miroirs de notre cerveau, une série de stimulations à différents endroits de notre corps ; ces informations internes sont intégrées dans les régions préfrontales moyennes du cortex cérébral via l’insula du système limbique, et donnent ainsi naissance à l’empathie – la capacité d’éprouver le vécu d’autrui tout en restant conscient que ce vécu n’est pas le nôtre. Une résonance empathique s’installe alors entre nous et l’autre car – cela a été démontré – les émotions sont ressenties physiquement de la même façon par tous les êtres humains, quelle que soit leur culture d’origine et leur niveau d’éducation. Il existe une véritable carte corporelle des émotions que nous connaissons tous puisque nous en faisons l’expérience au quotidien. Ainsi, dès que, présent à autrui, nous percevons une sensation à un endroit de notre corps, nous « savons » à quelle émotion cette perception correspond. Le fait de parler de notre perception et de l’émotion qui y est associée aide alors l’autre à prendre conscience de sa propre émotion (dont il n’est pas toujours conscient).

Certains évoquent la mise au diapason de nos champs biomagnétiques pour expliquer ce phénomène de la résonance empathique. De tels champs sont produits par l’activité électrique de notre cœur, de notre cerveau, de nos muscles et de l’ensemble des cellules de notre organisme. Il est très probable que, à l’instar de nombreux animaux, nous soyons capables d’en détecter les variations, notamment lorsque nos émotions entraînent des modifications du rythme de notre cœur (ce dernier étant l’organe dont l’activité intervient pour la plus grande part dans la genèse de notre champ biomagnétique). Cependant, même si elle existe peut-être, la perception des variations de nos champs biomagnétiques se fait certainement de manière non consciente ; elle restera donc encore longtemps difficile à objectiver.

Plusieurs professionnels de santé affirment percevoir le vécu de leurs patients par l’intermédiaire d’autres canaux que celui des sensations viscérales. Pour eux, l’information perçue se manifeste de manière visuelle (sous la forme d’images mentales), auditive (sous la forme de voix intérieures), ou olfactive (sous la forme d’odeurs). Ces différents types de manifestations peuvent également être considérés comme des perceptions corporelles. Toutefois, il faut envisager la possibilité qu’un certain nombre de ces perceptions soient de simples projections mentales. Certains soignants disent être tout à fait capable de faire la distinction entre leurs perceptions et leurs projections (la différence serait du même ordre que celle qui existe entre l’idée d’aller uriner et le réel besoin d’uriner : dans le premier cas, on sait que l’on crée une image mentale ; dans le second, la sensation du besoin est physique et s’impose d’elle-même). Ce genre d’expérience ressemble à celles dont témoignent certains chamanes ou certains médiums qui affirment capter de l’information dont ils ne peuvent pas douter.

Bien que de telles expériences soient encore mal comprises par la science, nous devons avoir l’humilité d’admettre que nous n’avons peut-être pas toute la connaissance nécessaire pour expliquer l’ensemble des phénomènes intuitifs. Ainsi, par exemple, on sait que des chiens sont capables de détecter la présence d’un cancer du sein, de l’ovaire ou du poumon, rien qu’en reniflant l’haleine des personnes malades. Il est donc permis d’émettre l’hypothèse que certains d’entre nous, particulièrement sensibles (car entraînés à être présents à eux-mêmes et aux autres), peuvent capter des informations qui ne le sont pas par d’autres.

SE LAISSER TOUCHER PAR LA PRESENCE D'AUTRUI (TOUT EN METABOLISANT LES EMOTIONS)

Il n’est pas toujours facile de se laisser toucher par la présence d’autrui. Surtout lorsque ce que l’on perçoit est de l’ordre d’une émotion désagréable comme la peur, la tristesse ou la colère. Il faut avoir appris à accueillir ce genre de sentiments et accepter de ressentir l’inconfort physique qu’ils peuvent générer en soi, pour être capable d’éprouver la tension, la douleur et la souffrance d’autrui. Tant que l’on redoute ses propres émotions, on a beaucoup de mal à percevoir celles des autres.

Beaucoup de gens ont peur de leurs émotions. De la même manière qu’ils évitent de ressentir l’inconfort physique, ils craignent l’inconfort émotionnel. Leur cœur se ferme. Ils se refugient dans leur intellect, ils analysent froidement les situations, ils ont tendance à se perdre dans beaucoup d’explications, ils remplissent l’espace avec des mots, ils s’affairent. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour ne pas sentir ce qui se passent en eux. Et, lorsqu’ils sont confrontés à la détresse d’autrui, ils adoptent la même stratégie : ils ne se laissent pas toucher par l’autre – le mot n’est pas utilisé par hasard car il s’agit bien d’un refus d’être atteint dans leur chair par la présence de l’autre –, ils parlent, ils conseillent, ils agissent, pourvu qu’ils ne doivent pas éprouver ce que l’autre ressent. Ils ne savent pas comment gérer les émotions d’autrui car personne ne leur a appris à métaboliser les leurs.

Métaboliser les émotions permet d’accueillir, de comprendre et d’utiliser consciemment les émotions. Au sens strict du mot, le métabolisme est l’ensemble des réactions de l’organisme qui transforment la matière en énergie et l’énergie en matière, en utilisant l’oxygène fourni par respiration. C’est exactement ce que nous devons apprendre à faire avec nos émotions. Inspirer et expirer profondément rééquilibre la balance entre les système nerveux sympathique (en lien avec les émotions désagréables) et le système nerveux parasympathique (en lien avec les émotions agréables). Cela permet de relâcher la tension émotionnelle qui se manifeste à travers les contractures et les fermetures du corps. Aussitôt la charge énergétique de l’émotion est libérée ; cela remet le corps et la pensée en mouvement. Ainsi, dès que nous respirons profondément, nous permettons à nos émotions de se dissiper tout en réinformant notre corps d’une nouvelle sensibilité et notre intellect d’un nouveau sentiment.

Chaque fois que nous nous laissons toucher par le vécu émotionnel de quelqu’un d’autre, nous réveillons nos propres émotions. Chaque fois que nous métabolisons ces émotions en utilisant notre respiration, nous enrichissons notre être de sensations et de sentiments qui le rendent plus vibrant ; nous nous sentons plus vivant. Nous pouvons alors développer plus d’empathie et de compassion pour nous-même et pour les autres.

ETRE CONSCIENT DU PHENOMENE DE TRANSFERT ET DE CONTRE-TRANSFERT

Dès que nous entrons en relation avec autrui, quelle que soit la nature de cette relation, nous sommes influencé par un phénomène de transfert qui nous empêche de percevoir l’autre tel qu’il est vraiment. Il nous faut alors faire un effort de discernement pour déceler les projections que nous effectuons sur l’autre en fonction de ce que ce dernier nous rappelle de notre passé. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le transfert est la projection sur autrui de l’image de quelqu’un d’autre – quelqu’un que nous avons connu dans le passé et que la personne présente en face de nous, nous rappelle par certains détails perçus dans son apparence physique ou dans son comportement. La description de ce phénomène par Sigmund Freud est certainement un des apports fondamentaux de la théorie psychanalytique.

Nous vivons tous en transfert. Le phénomène est normal, universel et permanent. Cela veut dire que notre passé nous empêche de découvrir qui est réellement celui qui est en face de nous dans le présent. Le phénomène du transfert constitue donc un obstacle pour être pleinement présent à l’autre. D’autant plus que, de façon inévitable, l’autre est, lui aussi, victime du même phénomène ; influencé par ses propres références du passé, il ne nous perçoit pas tel que nous sommes et, faussé dans son jugement, il ne se montre pas forcément à nous tel qu’il est vraiment. Les relations humaines sont donc très souvent un grand jeu de dupes.

Au début d’une psychothérapie, par exemple, le patient a souvent tendance à opérer un transfert positif sur son thérapeute ; il le considère comme un « bon parent » qui va prendre soin de lui. Plus tard au cours de la thérapie, il effectue parfois un transfert négatif ; il voit alors son thérapeute comme une « mauvaise autorité » à laquelle il faut résister. De son côté, le thérapeute fait inévitablement un contre-transfert sur son patient qui lui rappelle également l’une ou l’autre personne de son passé. Dès qu’il en a pris conscience, le psychothérapeute doit utiliser ce contre-transfert pour dynamiser le processus psychothérapeutique et permettre au patient de revivre face à lui des problématiques relationnelles non résolues dans le passé, afin que celui-ci puisse identifier ses propres blessures, démasquer les défenses qu’il a mises en place pour éviter d’être reblessé, et mettre fin à logique névrotique qui fait que ces défenses finissent toujours par recréer les blessures redoutées. L’exercice de la psychothérapie demande donc que le thérapeute ait fait un sérieux travail sur lui-même afin de bien se connaître, d’être capable d’identifier le phénomène du transfert et du contre-transfert et de l’utiliser comme un outil psychothérapeutique.

Il faut beaucoup de lucidité, d’honnêteté, d’authenticité et de transparence pour créer des relations réellement thérapeutiques. De la lucidité pour identifier les pièges du transfert et du contre-transfert. De l’honnêteté pour s’avouer à soi-même les défenses névrotiques que nous mettons en place lorsque l’on effectue un transfert sur autrui. De l’authenticité pour ne plus répéter le scénario de dupes que l’on a joué dans le passé et que l’on risque de rejouer dans le présent si l’on n’abandonne pas les défenses névrotiques. Et de la transparence pour démasquer la dynamique en place et en parler ouvertement avec l’autre.

Parler du transfert et du contre-transfert avec un patient en psychothérapie n’est pas forcément nécessaire ; le comportement du psychothérapeute peut suffire pour déclencher une prise de conscience et mettre en route un processus de transformation chez le patient. En revanche, parler de tout cela dans nos relations quotidiennes avec les autres peut être très utile et thérapeutique pour eux et pour nous. Car cela nous oblige à nommer nos défenses, à parler de nos blessures et de nos peurs ; et, par effet de miroir, cela aide les autres à démasquer leurs propres défenses, à dénoncer leurs blessures et leurs peurs ; ce qui, automatiquement, crée une connexion entre eux et nous à un niveau essentiel, apaisé et beaucoup plus vivant.

S'OUBLIER

La rencontre de deux personnes est toujours, pour commencer, la rencontre de deux personnalités, c’est-à-dire : la rencontre de deux moi névrotiques – deux ego apeurés, deux enfants blessés. Nous rappeler cette vérité peut nous éviter beaucoup de déceptions, de conflits et de souffrances. Bien sûr, certaines personnes ont des blessures plus vives, moins bien cicatrisées que d’autres ; leur moi prend plus de place et empêche leur Soi apaisé d’exprimer les qualités essentielles qui permettent d’éviter de recréer les blessures du passé. Cependant, même si certains estiment faire partie de la catégorie des personnes guéries de leur passé, il est imprudent de croire que l’on peut être définitivement débarrassé de toute emprise de l’ego. Ceux qui affirment que c’est leur cas, sont souvent les moins réveillés d’entre nous. Aveuglés par ce qu’ils croient être leur lumière, ils ne voient pas la part d’ombre qui agit en eux. Celle-ci se manifeste alors d’une manière déguisée sous la couverture de bons sentiments et, tôt ou tard, elle se révèle à travers toute sorte de jugements négatifs et de blâmes adressés à autrui.

En réveillant nos blessures et nos peurs, le phénomène du transfert active cette part sombre de nous-même. Il est donc important de ne pas laisser notre moi névrotique prendre trop de place dans la relation de présence à l’autre. Ce n’est pas facile car, étant en contact avec le souvenir de nos blessures du passé, nous avons tendance à focaliser sur notre personne. Cela nous empêche d’être réellement présent à nous-même (au Soi) puisque les réminiscences névrotiques de notre passé sont un obstacle pour accéder au silence et à la paix de notre essence. Cela nous empêche également d’être vraiment présent à l’autre puisque ce que nous projetons sur lui constitue un obstacle pour accéder au silence et à la paix de sa propre essence.

Si nous voulons établir une relation de présence à nous-même et à l’autre qui soit véritablement thérapeutique pour nous et pour l’autre, nous devons décider de nous mettre sur le côté et d’oublier nos préoccupations égotiques. Cela ne veut pas dire qu’il faut nier l’existence des blessures et des peurs qui se réveillent en nous mais, plutôt, qu’il faut choisir en conscience de s’en occuper plus tard, dans une autre temps et dans un autre lieu, afin de privilégier ce qui peut être explorer dans le moment présent : un maximum de présence à notre essence et à celle de l’autre, pour créer un maximum de guérison. Par la suite, lorsque nous serons seul avec nous-même, nous pourrons prendre soin de nos blessures ; par exemple, en effectuant une introspection dans notre journal intime, en nous confiant à un ami ou en consultant un psychothérapeute et, lorsque l’on est soi-même psychothérapeute, en se faisant superviser par un confrère avec lequel on pourra explorer ce qui c’est joué lors de la rencontre avec le patient.

ENTRER EN CONTACT AVEC L'AUTRE PAR LA PORTE QUI EST OUVERTE (ET L'AIDER SANS PARLER)

La rencontre de deux personnes n’est pas seulement la rencontre de deux enfants blessés ; elle est aussi la mise en présence de deux êtres mutidimensionnels – deux corps, deux sensibilités, deux intellects, deux langages, deux discours. Il est intéressant d’écouter avec attention les mots utilisés dans ces discours car leur choix n’est jamais le fruit du hasard ; ils révèlent beaucoup du rapport non conscient que nous entretenons avec nous-même, avec les autres et avec le monde. Ainsi, en écoutant notre propre discours, nous pouvons découvrir à quelle part de nous-même nous nous identifions ; et en écoutant le discours d’autrui, nous pouvons savoir par quelle dimension de lui-même il entre en contact avec le monde.

La plupart des gens commencent leurs phrases par « je pense », « je sais », « je crois » ; beaucoup moins par « je sens » ou « j’ai l’impression ». Si vous les observez au moment où ils prononcent ces phrases, vous constaterez que leurs yeux sont généralement lévés vers le ciel lorsqu’ils disent qu’ils pensent, qu’ils savent ou qu’ils croient ; alors que leur regard est plutôt dirigé vers le bas lorsqu’ils déclarent sentir ou avoir une impression. Bien souvent, leurs mains se portent alors sur une partie de leur corps comme pour indiquer l’endroit où se manifeste leur ressenti.

Il faudrait toujours aborder autrui par la porte qui est ouverte chez lui. Chez ceux qui disent penser, savoir ou croire, cette porte est assurément le mental. Il convient donc d’honorer leur intelligence en prenant le temps de les questionner, de reformuler leurs réponses pour s’assurer de les avoir bien compris, et de leur expliquer certains concepts afin qu’ils puissent réinformer leur intellect, s’ouvrir à une autre manière de penser et, de ce fait, changer leur rapport à eux-mêmes et au monde. En revanche, chez ceux qui déclarent sentir ou avoir une impression, la porte qui est ouverte est celles des émotions et des sensations corporelles. Il ne sert donc à rien de passer trop de temps à questionner ou à expliquer ; il est beaucoup plus efficace de partager des sentiments avec eux ; on peut aussi établir un contact en les touchant physiquement par une poignée de main ou en posant une main sur leur épaule, à condition que celle-ci n’imprime aucune poussée et n’exprime aucune intention d’intrusion ou de domination. Dès qu’un lien est établi d’intellect à intellect ou de sensibilité à sensibilité, il est recommandé d’inviter notre interlocuteur à explorer les autres dimensions de son être. Si ce dernier est plutôt intellectuel, cela se fera en l’encourageant à exprimer des sentiments et à développer une meilleure conscience de leur corps ; si il est du genre sensible, il faudra lui apprendre à ne pas se laisser submerger par ses émotions et à utiliser les bons mots pour parler de ses sentiments.

Entrer par la porte qui est ouverte permet de créer une relation de confiance. Celui qui est abordé de cette manière se sent respecté dans sa singularité et en sécurité. Il peut alors se laisser guider dans l’exploration des autres dimensions de son être et découvrir qu’il est beaucoup plus vaste qu’il l’imaginait.

En plus de lui suggérer verbalement d’exprimer des sentiments, de développer plus de conscience de son corps ou d’apprendre à utiliser les bons mots pour exprimer ses émotions, nous pouvons l’aider sans parler, par la simple qualité de notre présence, en agissant au niveau de la réalité énergétique qui occupe un place importante dans nos interactions avec autrui. Cela peut paraître étrange pour celui qui n’en a jamais fait l’expérience. Mais, avec un peu de pratique, vous vous rendrez compte que c’est une évidence. Pour y parvenir, il faut sentir à travers notre propre présence à nous-même, quelle est la porte qui est ouverte chez l’autre. Généralement, si ce dernier est du genre intellectuel, en plus de l’entendre dire qu’il pense, qu’il sait et qu’il croit, nous percevons chez nous un déplacement de l’énergie vers le haut de notre corps – cela se traduit souvent par une tension dans la tête et une déconnexion du reste de notre corps. Si notre interlocuteur est, au contraire, un sensible qui déclare sentir et avoir des impressions, nous percevons souvent une concentration de l’énergie dans notre poitrine, autour de notre coeur, dans notre ventre et dans nos membres inférieurs. Forts de ces informations, nous pouvons corriger le déséquilibre énergétique perçu dans notre propre corps en respirant profondément et en portant notre attention dans les zones qui nous paraissent vides pour les remplir de notre présence à nous-même. Ce faisant nous créons une autre réalité, un autre champ d’énergie et d’information qui aide notre interlocuteur à « vibrer » d’une autre façon.

La résonance empathique qui existe entre nous et l’autre peut donc devenir une véritable résonance énergétique. En travaillant la qualité « énergétique » de notre présence, nous permettons à l’autre d’élargir et d’approfondir son expérience.

NE PAS AVOIR PEUR DU SILENCE

Au-delà des portes corporelles, émotionnelles et intellectuelles, nous pouvons aider l’autre à percevoir le silence et la paix de son Essence. Cela se fait obligatoirement dans le calme et le silence du Soi. C’est notre présence au Soi qui, en diapason, permet à autrui d’entrer à son tour au contact du Soi. Il faut donc apprendre à nous taire. Ne pas parler, ni mentalement ni oralement. Écouter ce que aucun mot ne pourrait exprimer. Percevoir le mouvement de nos émotions, contempler nos blessures, laisser se dissiper nos souffrances, apprivoiser nos peurs, abandonner nos défenses, avoir la conscience d’être sans devoir prouver notre existence par des mots ou par des gestes, nous sentir suffisant par notre seule présence. Nous baignons alors dans un espace vide de bavardage et rempli d’acceptation, d’amour et de compassion. L’autre peut, à son tour, plonger dans le même espace en lui pour éprouver de la compassion, s’aimer et s’accepter tel qu’il est.

ACCEPTER DE NE RIEN FAIRE (NE PAS REAGIR MAIS REPONDRE)

Rester silencieux face à autrui nécessite d’accepter de ne rien faire. Ce n’est pas facile car nous sommes conditionnés pour agir ; disons plutôt que nous sommes conditionnés pour réagir. Nous croyons que le pouvoir et la liberté sont liés à cette capacité de réaction ; en réalité, la véritable pouvoir et la vraie liberté résident dans l’aptitude à répondre aux situations. Car il existe une différence entre une réaction conditionnée par un réflexe acquis lors d’une expérience passée, et une réponse imaginée en fonction de la perception de ce qui se passe dans le présent. Tant que nous réagissons de façon conditionnée, nous ne sommes pas libre, nous répétons le passé sans avoir la possibilité d’y échapper. Dès que nous acceptons un temps d’inaction, nous créons un espace pour laisser émerger notre intuition, nous sommes alors mieux informé et nous pouvons répondre à la réalité avec plus de liberté, nous avons le pouvoir d’inventer le futur.

En choisissant l’inaction, nous pouvons faire l’expérience du silence et de la paix du Soi. Il nous est donc plus facile de ne pas nous laisser emporter par la cascade des réactions automatiques du moi ; nous ne nous laissons plus trop guider par nos peurs. Cependant, ne nous leurrons pas : le fait de ne pas réagir peut générer un sentiment d’impuissance et réveiller la crainte de perdre le contrôle sur les situations que nous vivons. Il est donc important de comprendre que faire le choix de la non-réaction permet d’obtenir quelque chose de bien supérieur au contrôle : la maîtrise de la situation. Contrôler est une réaction motivée par la peur de devoir affronter une réalité qui ne correspond pas à ce que nous attendons ; cela revient à nier la réalité en imposant notre volonté aux autres sans tenir compte de leurs besoins. Maîtriser est une réponse apaisée qui permet de nous adapter à la réalité telle qu’elle est, en faisant appel à notre créativité pour la faire évoluer sans la nier ; c’est donc une attitude beaucoup plus respectueuse des besoins d’autrui.

NE PAS TOMBER DANS LE PIEGE DU BESOIN DE RECONNAISSANCE

Accepter de ne rien faire peut aussi réveiller un doute à propos de notre propre valeur. Car, depuis notre plus jeune âge, c’est à travers nos performances que nous avons révélé nos talents à notre entourage. C’est par nos actes que nous nous sommes fait apprécier. Du coup, nous attachons un grande importance à faire et à bien faire. Nous voulons prouver que nous méritons d’être aimé. Et, nous avons beaucoup de mal à imaginer pouvoir être accepté simplement pour ce que nous sommes, sans devoir le manifester à travers des actions visibles et, si possible, spectaculaires. Nous existons à travers nos performances au lieu de simplement être du fait de notre présence. (Rappelons que « exister » vient de ex-sistere en latin : se tenir à l’extérieur ; l’étymologie relie donc ce verbe à la personnalité – au moi, la partie extérieure et facilement visible de l’individu).

C’est particulièrement vrai dans nos sociétés où l’on est obnubilé par le souci de produire, de vendre et d’acheter afin d’être reconnu pour ce que l’on fait et pour ce que l’on a. Toute personne engagée dans une relation d’aide à autrui, à titre privé ou à titre professionnel, devrait être consciente de son besoin de reconnaissance et des moyens – action et possession – qu’elle met en oeuvre pour le combler. Elle devrait aussi se rendre compte que ces moyens ne suffiront jamais à la rassurer quant à sa valeur car la seule reconnaissance qui peut combler notre besoin d’être apprécié est celle que nous avons pour nous-même. Nous devons donc apprendre à accepter ce que nous sommes, sans nous justifier et sans nous cacher derrière des actions qui masquent la nature paisible et silencieuse de notre être profond. Rester silencieux et inactif permet à l’autre de faire l’expérience de notre présence. Nous obtenons alors de sa part une forme de reconnaissance bien plus précieuse que n’importe quelle autre liée à nos actions ou à nos possessions : la reconnaissance du cœur – le lien d’essence à essence, une connexion d’âme à âme, une relation de Soi à Soi.

NE PAS ATTENDRE UN RESULTAT (ET APPRENDRE A ACCOMPAGNER L'AUTRE)

Il est bien entendu illusoire d’imaginer pouvoir rester silencieux face à autrui durant un temps infini. Tôt ou tard, nous sommes amené à dire quelque chose, à témoigner de notre propre vécu, à l’interroger sur le sien, à répondre à ses questions. Une relation basée sur la pleine présence à soi et à l’autre inclut toutes les dimensions de l’expérience ; la parole et l’action en font partie. C’est à ce moment qu’il faut veiller à ne pas tomber dans le piège de la performance en cherchant à obtenir une reconnaissance de la part de l’autre. Cela veut dire que nous devrions dire ou faire les choses sans nous attacher au résultat, simplement parce que notre discours ou notre acte nous paraît le plus juste dans les circonstances présentes.

Ne pas attendre un résultat est particulièrement difficile lorsque l’on est face à quelqu’un qui exprime une souffrance. Car, en plus de vouloir montrer notre aptitude à le soulager pour obtenir sa reconnaissance et nous rassurer à propos de notre propre valeur, il existe au fond de nous un désir d’aider autrui, lié à un sens moral dont plusieurs études prouvent le caractère quasi inné chez l’être humain. Cet élan altruiste est d’autant plus spontané que nous sommes présent à nous-même et connecté au Soi. Toutefois, dire à autrui ce qu’il devrait faire pour sortir de sa souffrance ou, pire, tenter de le faire à sa place, l’empêche de trouver ses propres solutions. Cela revient à nier sa sagesse, ses compétences et sa force. C’est une véritable prise de pouvoir sur sa vie. Dès que l’on est présent à soi-même, on sent et on sait que la meilleure aide que l’on peut apporter à autrui – la réponse juste – est de l’accompagner dans le processus qui lui permet d’être davantage présent à lui-même et d’exercer son propre pouvoir sur sa vie. Accompagner quelqu’un, à titre privé ou à titre professionnel, ne consiste pas à l’emmener là où l’on voudrait qu’il aille mais, plutôt, à aller avec lui là où il veut – là où il peut – se rendre. Accompagner est un acte d’humilité. L’objectif n’est pas tant de soulager la souffrance d’autrui que de lui permettre de trouver le moyen de répondre par lui-même à ses propres besoins, dans l’autonomie et l’autodétermination.

L’ego cherche à se rassurer et attache de l’importance aux résultats en espérant que ceux-ci prouveront sa valeur et lui permettront d’obtenir la reconnaissance de la personne en souffrance. Le Soi n’a pas besoin de se rassurer ; il est en paix, il est la paix ; il fait confiance et il sait que, si il peut s’exprimer pleinement, ce qui adviendra sera juste même si, dans un premier temps, cela ne rapporte pas toujours la reconnaissance de la personne en présence.

FAIRE TAIRE LES A PRIORI

Sans nous en rendre compte nous passons notre temps à comparer la réalité que nous observons avec celle que nous aimerions pouvoir observer. Notre intellect est encombré d’une série d’idées préconçues, d’a priori et de principes qui l’empêchent de se laisser informer sans immédiatement échafauder un plan destiné à corriger ce qui est. Nous ne pensons alors qu’en terme de généralités ; nous nions toute diversité, toute singularité, toute originalité.

Identifiés à ce que nous pensons, nous avons tendance à vouloir imposer nos idées aux autres car nous avons besoin de leur approbation pour nous rassurer à propos de la valeur de notre propre identité. Certaines personnes à l’identité mal assurée sont prêtes à tuer pour imposer leur façon de penser, car tout point de vue différent du leur représente un danger ; elles se sentent menacées dans les fondements de leur personnalité. Malheureusement, ces personnes à l’ego mal construit passent leur temps à essayer de le renforcer ; elles ne peuvent donc pas prendre conscience de leur réelle identité, elles n’entendent jamais leur silence intérieur, elles sont jamais apaisées – elles sont déconnectées du Soi. Elles ne peuvent donc pas comprendre que, au-delà des différentes manières de penser, il existe une réalité partagée par tous les êtres humains – ce profond désir de silence et de paix qui constitue la base de l’identité de toute l’humanité.

EXPLORER L'INCONNU

« Un homme ne va jamais aussi loin que lorsqu’il ne sait pas où il va. » Cette citation attribuée à Christophe Colomb illustre parfaitement le processus qui se produit lorsque, au-delà de l’agitation du moi, nous contactons le silence et la paix du Soi. Le chaos de l’ego nous est familier. Le calme de l’Essence nous l’est beaucoup moins. Certaines personnes n’imaginent même pas qu’un tel apaisement puisse exister car, pour le découvrir, il faut accepter de quitter ce qui est familier. Il faut explorer l’inconnu. Or, l’une des plus grandes peurs de l’être humain est celle de l’inconnu. Du coup, beaucoup de gens préfèrent continuer à s’identifier à leur moi plutôt que de partir à la découverte du Soi. Ils s’accommodent du chaos créé par leur ego et ils pensent que c’est la condition normale de l’existence. Ils ne savent pas qu’une autre réalité est possible.

En étant en contact avec notre propre Essence, nous rassurons ceux qui ne connaissent pas encore le chemin vers le Soi. Notre calme et notre bienveillance sont pour eux une invitation à explorer l’inconnu en eux. Lorsque ils osent cette exploration, comme Christophe Colomb, ils finissent par découvrir un nouveau continent – une terre intérieure dont ils ne soupçonnaient pas l’existence et qui, pourtant, est celle de leur essence.   

NE PAS JUGER

Le seul moyen d’incarner pleinement la figure rassurante d’une présence apaisée est d’être présent au Soi. Dans cette posture de totale acceptation de qui l’on est, tout jugement disparaît ; notre regard, notre voix, nos expressions, nos gestes, nos postures, tout ce qui fait notre langage non verbal exprime la bienveillance.

Il convient de bien faire la différence entre nos jugements et nos opinions. Nos jugements – les positifs comme les négatifs – définissent les êtres ou les choses d’une manière manichéenne et absolue. C’est absurde car, en réalité, il n’y a rien de bien ou de mal, il y a ce qui est. Ce qui est bien ou mal c’est la manière dont nous pensons à ce qui est. Nos opinions sont beaucoup plus relatives, elles sont suceptibles d’évoluer et, à la différence de nos jugements soi-disant objectifs, elles affichent leur subjectivité sans ambiguité. Les jugements condamnent ; ils font peur. Les opinions sont ouvertes au débat et, lorsqu’elles sont exprimées avec humilité, elles rassurent car elles nourrissent et elles enrichissent la pensée.

S’interdire tout jugement est la condition indispensable pour que, en notre présence, autrui puisse se sentir en parfaite sécurité, respecté dans sa singularité, encouragé dans son originalité et soutenu dans ce qui fait sa vitalité. Au cours d’une séance de psychothérapie, par exemple, les patients identifient souvent très clairement le moment où ils ne détectent plus aucun jugement dans le regard du thérapeute ; ils se sentent alors compris et acceptés et, de ce fait, ils peuvent commencer à se regarder et à s’accepter tels qu’ils sont.

OUVRIR SON COEUR

Dès que nous posons un regard bienveillant sur autrui, nous sentons notre poitrine s’expanser et se réchauffer. La même sensation d’espace et de chaleur se manifeste à cet endroit lorsque nous-même, nous nous sentons regardé avec bienveillance par autrui. Comme si notre cœur s’ouvrait pour laisser l’amour circuler entre nous et l’autre, entre l’autre et nous. Nous pouvons alors renforcer ce sentiment en respirant profondément.

Depuis la nuit des temps, dans toutes les cultures de l’humanité, la poitrine et le cœur qu’elle abrite ont été associés aux sentiments d’amour et d’affection. Ce n’est guère étonnant lorsque l’on sait que notre cœur est directement relié à notre cerveau limbique et que son activité dépend étroitement de nos émotions. Cette influence émotionnelle se fait via les branches sympathique et parasympathique de notre système nerveux autonome (en particulier le nerf vague), ainsi que par l’intermédiaire d’une série d’hormones parmi lesquelle l’ocytocine joue un rôle important. Ce neuropeptide, fabriqué principalement au sein du cerveau limbique (et aussi au niveau du cœur), intervient tantôt en tant qu’hormone, tantôt en tant que neurotransmetteur, dans une série de mécanismes complexes qui aboutissent, entre autres, à l’activation du système nerveux parasympathique, au déclenchement des contractions de l’utérus lors de l’accouchement, à l’éjection du lait maternel après la naissance, au sentiment d’attachement de la mère pour son enfant, à la dilatation des vaisseaux sanguins entraînant une sensation de chaleur dans la poitrine et une baisse de la pression artérielle, à un soulagement des douleurs associé à une impression d’aisance et de confort, à une diminution du niveau de stress et d’anxiété, à la sensation d’apaisement, à l’impression d’être en sécurité, au sentiment de confiance, à l’évalutation positive des personnes avec lesquelles on est en relation, à la capacité d’empathie et de compassion pour autrui. Autant d’effets qui ont valu à l’ocytocine d’être appelée « hormone de l’attachement » ou « hormone de l’amour ».

Le simple fait de poser un regard sans jugement sur soi et sur autrui génère donc toutes sortes de réactions physiologiques qui favorisent notre propre bien-être et, par contamination, le bien-être de l’autre. L’acceptation inconditionnelle qui permet de poser ce regard sans jugement est celle de la pure conscience ; elle est l’amour inconditionnel qui émane du Soi. Toutes les dimensions de notre être sont alors conviées dans la rencontre avec l’autre et le sentiment de sécurité ainsi généré permet à l’autre d’ouvrir son cœur à son tour. C’est la base de ce que l’on appelle en psychothérapie l’alliance thérapeutique – la relation entre le patient et son thérapeute qui, selon de nombreuses études, constitue le meilleur gage du succès de la thérapie. Une relation de Soi à Soi où chacun des protagonistes se découvre dans l’autre.

EPROUVER DE LA TENDRESSE ET DE LA COMPASSION POUR SOI ET POUR L'AUTRE

L’ouverture du cœur s’accompagne d’un sentiment tout à fait particulier, commun à toutes les formes d’amour inconditionnel : la tendresse. La sensation corporelle que celle-ci nous procure est douce et chaleureuse ; nous avons donc une impression de confort et de sécurité. Du coup, nous nous sentons appelés à témoigner de la douceur et de la chaleur à autrui et nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour qu’il se sente, lui aussi, confortable et en sécurité. Car la tendresse naît de la conscience que nous avons de notre sensibilité, de notre fragilité et de notre vulnérabilité – celle d’autrui et la nôtre.

La tendresse s’accompagne souvent d’un autre sentiment lié à l’amour inconditionnel : la compassion. Cet élan naît de la reconnaissance de la souffrance d’autrui en résonance avec la connaissance que nous avons de notre propre souffrance ; il entraîne alors sur une réaction solidaire qui cherche à réduire la souffrance d’autrui. De la tendresse pour soi, de la tendresse pour l’autre. De la compassion pour soi, de la compassion pour l’autre. Habité de tels sentiments, il nous paraît naturel de prendre soin de nous-même et de l’autre.

S'EVEILLER A LA NON-DUALITE

Être pleinement présent à l’autre permet de comprendre que notre moi et le sien sont construits selon la même logique névrotique, en réaction aux mêmes peurs. Cela permet aussi de se rendre compte que, au-delà des apparences affichées par nos personnalités respectives (au-delà de nos ego apeurés) nous partageons le silence et la paix du Soi. Nous nous sentons alors relié à la même source de vitalité et de créativité. Nous faisons l’expérience de notre similarité, de notre identité (notre essence commune) et de notre unité. Nous ne nous voyons plus comme deux personnes différentes et séparées mais nous nous sentons comme deux êtres identiques. Nous découvrons que nous sommes un et seulement un. Nous vivons la non-dualité.

 

À l’EDLPJ, nous considérons que

  • la présence à l’autre consiste à rencontrer autrui au-delà des apparences de nos moi respectifs, au niveau de notre essence commune, dans le silence et la paix du Soi
  • pour cela il est utile de nous poser et de développer un état de vigilance paisible
  • il est utile d’apprendre à écouter, à développer notre intuition et à utiliser notre propre corps comme une antenne de perception
  • il est utile de devenir capable d’empathie et de se laisser toucher par l’autre tout en apprenant à « métaboliser » nos émotions (en utilisant notre respiration)
  • il est utile de détecter le phénomène de transfert et de contre-transfert inhérent à toute relation humaine
  • il est utile d’oublier nos préoccupations égotiques (pour rester présent au Soi)
  • il est utile d’apprendre à aider l’autre sans parler, en entrant en relation avec lui par la porte (émotionnelle ou intellectuelle) qui est ouverte chez lui, et en travaillant la qualité « énergétique » de notre présence pour permettre à l’autre d’élargir et d’approfondir son expérience
  • il est utile de ne pas avoir peur du silence car celui-ci est, pour nous et pour l’autre, la porte vers l’Essence (le Soi)
  • il est utile de ne pas réagir (de manière défensive et conditionnée) et, à la place, de répondre (en conscience, de façon confiante et apaisée)
  • il est utile de se méfier de notre besoin de reconnaissance et de notre volonté d’obtenir un résultat pour prouver notre valeur
  • il est utile de faire taire nos a priori, de rester curieux et d’explorer l’inconnu (en nous et chez l’autre)
  • il est utile de ne pas juger (ni nous, ni l’autre)
  • il est utile d’ouvrir notre cœur (avec notre intention et au moyen de la respiration), et nous laisser aller à éprouver de la tendresse et de la compassion pour nous-même et pour l’autre
  • la présence à l’autre devient alors l’occasion de faire l’expérience de la non-dualité – l’unité de soi et de l’autre dans la pure conscience du Soi
  • la présence à l’autre réveille en nous de la tendresse, de la sympathie, de l’empathie et de la compassion
    • la tendresse naît de la conscience que nous avons de notre sensibilité, de notre fragilité et de notre vulnérabilité – celle d’autrui et la nôtre.
    • la sympathie (du grec syn: ensemble, et pathos : passion, souffrance) consiste à comprendre et à partager les sentiments d’un autre dans un contexte d’affinité et de proximité avec lui ; elle est donc un mode de rencontre avec autrui.
    • l’empathie (du grec en: en dedans, et pathos : souffrance) est la capacité d’éprouver le vécu de l’autre tout en sachant que ce vécu n’est pas le nôtre ; elle est donc un mode de connaissance d’autrui.
    • la compassion (du latin cum: avec, et patire : souffrir) est un élan qui naît de la reconnaissance de la souffrane d’autrui en résonance avec la connaissance que nous avons de notre propre souffrance ; elle débouche sur une réaction solidaire qui cherche à réduire la souffrance d’autrui ; elle est donc un mode de relation à l’autre